Julie Blanc – Composer avec les technologies du web
Annexe 1
Choix typographiques
Cette annexe illustre la diversité des déterminants entrant en jeu dans l’activité de composition à partir d’un exemple emblématique : le choix de la police de caractères. Nous avons ainsi issu des entretiens 7 choix que nous analysons à partir des verbatims des participants et participants et des photos de leurs projets.
Contenu matériel de l’ouvrage et connotation
◣ Je structure avant le contenu pour voir ce dont j’ai besoin comme différents caractères. Là, par exemple, il y a beaucoup de code, donc forcément je vais avoir besoin d’une monospace une police de caractère à chasse fixe, souvent utilisé dans le code, et puis une fonte pour le texte de base, et potentiellement une fonte de titrage.
- Projet Catherine Lenoble & OSP, Anna K., éditions HYX, 2016
- Mise en page Open Source Publishing
- Typographie Ax28ScriptStroke (OSP)
Lisibilité et connotation
⟐ Une typo, est-ce qu’elle est à peu près juste pour parler du journal d’une jeune fille ? Est-ce qu’elle est pas trop décalée ? Est-ce qu’en même temps, pour la lecture, ça va ? C’est tout ces aspects là. J’ai passé beaucoup de temps à chercher une typo où, en romain, on est assez à l’aise dans le texte et où, en italique, on passe un peu dans un autre univers ; sans que les formes chahutent. »
- Projet Ruud Van Der Rol et Rian Verhover, Anne Frank, une vie, éditions Belin, 2010
- Mis en page Marie-Astrid Bailly-Maître
- Typographie Fairplex (Emigre) + Dax
Contraintes économiques et contenu matériel de l’ouvrage
⁕ [Les éditeurs] voulaient faire un petit dictionnaire mais mettre un maximum de mots dedans, c’est ça le problème des dictionnaires : le livre a une taille limite, un poids limite, une certaine finesse de papier, après industriellement ils n’arrivent plus à le faire. Donc le défi, cétait de faire un livre qui contienne le maximum de contenu (…) J’ai proposé trois colonnes sur un plus petit format. Comment on faisait pour tenir 9000 signes par page sur un petit format en trois colonnes ? (…) Si tu prends une typo qui a un gros œil, elle va être très lisible en petit, donc tu peux baisser grosso modo de deux corps, carrément. En étroitisé c’est fatigant à lire ; en gros œil c’est tellement facile à lire que tu peux faire minuscule, ça se lit toujours. On ne s’en rend même pas compte, ce n’est pas fatigant. Et comme tu baisses des corps, tu mets plus de texte sur ta ligne et tu mets beaucoup plus de lignes. C’est un point techniques mais c’est le cœur du truc. (…) Je voulais aussi qu’il y ait des empattements mais les empattements te font perdre de la place. Donc, j’ai cherché une police qui avait des demi-empattements. C’est-à-dire que tu as des traces d’empattements mais ils ne sont pas complets, il y a des demis. Donc j’ai travaillé en Cicéro, qui est une typo de Puyfoulhoux.
- Projet Dictionnaire pour Le Robert
- Mis en page Nicolas Taffin
- Typographie Cicéro (Thierry Puyfoulhoux)
Contexte
de la commande (intention éditoriale)
et contrainte technique (contenu
matériel de l’ouvrage)
◑ Malgré tout le respect et l’amour pour un certain pragmatisme et fonctionnalisme du graphisme, je pense quand même que certaines typos portent certaines idées. (…) La contrainte supplémentaire que je me suis mise depuis deux ans, c’est d’utiliser des typos faites par des femmes et open-source. J’avais créé un outil, un répertoire de fontes libres dessinées par des femmes. Je l’ai créé d’abord pour moi et vu que c’est open-source, j’ai pu le partager. »
- Projet Badass Libre fonts by womxn (librairie typographique)
- Site web de Loraine Furter
- Lien https://design-research.be/by-womxn
Proximité
géographique (valeurs éthiques et politiques), connotation,
préférences esthétiques et set de caractère
très complet (sujet traité)
▨ C‘est toujours la même typo. Une typo qui s’appelle l’Arhnem, faite par Fred Smeijers, designer néerlandais qui vit ici, en Belgique. Arhnem, c’est le nom d’une ville au Pays-Bas. Elle est très lisible. C’est plutôt une typo un peu inspirée des typos du XVIIIe. Je voulais pas une typo style didot, très XIXe. Je voulais pas non plus prendre du Garamond qui était pour le coup trop typé un peu ancien. Elle est très lisible, elle est bien noire, le dessin est très bien et surtout en OpenType, il y a toutes les options : numérateurs, caractères spéciaux… (…) C’est une police très très complète par rapport à tout ça. Il y a capitales, italiques dans toutes les graisses donc c’est extrèmement complet tout en étant simple, il n’y a pas de fioritures. Moi, je ne suis pas très très fioritures pour le texte.
- Projet Éditions Zones sensibles
- Mise en page Alexandre Laumonier
- Typographie Arhnem (Fred Smeijers)
Contexte
de la commande (intention éditoriale)
et contrainte technique (contenu
matériel de l’ouvrage)
▣ Dans ce projet, le caractère n’était pas imposé mais c’était une contrainte de ma part : je voulais travailler avec des caractères qui ont été faits par l’ANRT [Atelier National de Recherche Typographique] ou par des étudiants de l’ANRT (…) Comme c’est un livre qui est fait à l’école, que je suis à l’ANRT, je me disais que c’était intéressant de travailler avec ce corpus de caractères. (…) Baskerville avait bien l’italique et le regular. C’est un caractère qui est assez complet, il a les exposants qui sont dessinés, tout un ensemble de diacritiques. On le voit si on regarde le set. Ce dont j’avais besoin surtout, c’était que les exposants soient dessinés. C’était fait. Les petites capitales aussi. Par rapport aux besoins de cet ouvrage, le fait que ces glyphes-là existent, c’était important. C’était bien parce que ça permettait d’aller dans les détails microtypographiques et non pas de faire des choix par défaut parce que le glyphe n’existait pas dans le caractère.
- Projet Collection d’ouvrage pour l’ANRT
- Mise en page Éloïsa Perez
- Typographie Appel (Montasser Drissi, étudiant de l’ANRT), Baskerville reviwal (ANRT, copie du Baskerville qui a été trouvé dans une des bibliothèques de Nancy, dessiné lors d’un workshop de l’ANRT)
Préférences esthétiques
⧗ Niveau typo, une typo linéale avec caractères assez gros, c’est la HK Grotesk. Assez classique, bien déssinée ; et moi, j’aime bien cette typo, je la trouve assez lisible.. Une autre typo de titre, la Young Serif. Je considère aussi que les choix typographiques, c’est parce qu’on aime bien. Ce sont des typo libres, mais avec un certain caractères. On inverse ce qu’on fait d’habitude, c’est-à-dire les titres en Serif et les textes en Sans Serif. C’est un choix personnel aussi la typo, à mon avis. »
- Projet Clémence Seurat et Thomas Tari, Controverses. Mode d’emploi, Presses de Sciences Po, 2021
- Mise en page Sarah Garcin
- Typographie HK Grotesk, Young Serif
À propos des choix typographiques de ce manuscrit
Ce manuscrit a été principalement composé avec la famille de caractères Fragen, dessinée par Lucas Descroix en 2019. Pour le corps principal de la thèse, nous souhaitions une police de caractère à empattement afin de faciliter la lecture longue. Nous voulions aussi que la famille soit suffisamment étendue pour répondre aux nombreuses variations du texte (beaucoup de niveau de titre, citations, notes, etc.). Enfin, nous nous sommes posé comme contrainte de trouver une famille de caractères dessinée par une connaissance afin de soutenir la création typographique contemporaine.
Nous avons par ailleurs proposé à Lucas d’étendre sa famille de caractères afin d’y inclure de nouveaux symboles que nous avons utilisés dans ce manuscrit pour représenter les différents participant·e·s à nos études.
Nous avons ensuite cherché une seconde famille de caractère pour les extraits de code et les figures. Cette famille devait pouvoir se marier correctement avec la Fragen, et être assez « neutre » pour contrebalancer ses formes affirmées. De plus, elle devait exister à la fois en version monoplace (pour le code) et sans empattement (pour les figures). Après plusieurs essais, notre choix s’est porté sur la famille de caractères IBM Plex publiée par IBM depuis 2018 sous la licence SIL Open Font et dessinée par Mike Abbink.